Le deuxième roman de Patrick De Jonghe






Comment se procurer ce roman ?
voir à la suite des extraits...


 
Un extrait de Sous le Saule



C’était l’été. « Le Sable » éclatait de lumière, l’herbe était chaude et l’ombre des arbres invitait à dormir. Charles attendait Tine sous le saule et ses yeux se fermaient. Elle arriva silencieusement et s’assit à ses côtés, les deux poings fermés enfoncés dans les joues, les coudes appuyés sur ses genoux relevés, comme si elle boudait. Lorsque Charles ouvrit les yeux et la contempla, elle ne cilla pas, ne lui lança pas un regard.
« Arrête ! dit-elle avec colère.
- Arrête quoi ?
- De me regarder. Il n’y a rien à voir de toute façon. »
Il crut bon de se taire et détourna les yeux. Il se passa certainement dix minutes avant que la conversation reprenne. Charles écoutait les oiseaux chanter à tue tête dans l’arbre qui les surplombait. L’air sentait merveilleusement bon, une odeur de sève et de fruit, comme si toutes les plantes s’étaient mises à évaporer au soleil. La lumière jouait avec les longues feuilles filiformes du saule qui bruissaient dans le vent. Aucun vrombissement de voiture ne venait troubler ce silence habité. Ils étaient loin de la rue, loin de la ville pourtant si proche, loin de tout. Cette cachette merveilleuse était la leur, personne ne la connaissait. Un jour, la mère de Charles l’avait appelé de la maison et comme il ne répondait pas, elle s’était mise à sa recherche dans le terrain vague. Lorsqu’il apparut enfin, elle ne parvint jamais à deviner d’où il sortait. « Mais où étais-tu donc ?! » avait-elle crié. « Je t’ai cherché partout ! ». Charles avait esquissé un geste vague : « Par là », avait-il répondu. Elle n’avait pas approfondi la question. Tine avait attendu qu’ils disparaissent pour sortir du couvert des branches.. .
« Mes parents se sont disputés ce matin », dit-elle enfin.
Charles tendit les bras vers elle.
« Ne me touche pas !
- Pourquoi ?
- Parce que…
- Je ne t’ai rien fait de mal ! »
Valentine était retombée dans son silence. Quand elle reprit la parole, sa voix était dure, acerbe :
« Ma mère, je lui en voudrai toute ma vie !
- Parce qu’elle s’est disputée avec ton père ?
- Je lui en voudrai toute ma vie de m’avoir mise au monde !
- Mais, si tu n’étais pas née, nous ne nous serions jamais rencontrés !
- Justement.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Tu ne peux pas comprendre.
- Tu ne détestes tout de même pas ta mère !
- Si. Je la hais !
- On ne dirait pas. Vous êtes si câlines, elle est si gentille avec toi.
- Elle est câline, elle est gentille avec moi ! C’est parce qu’elle essaye de se faire pardonner.
- Pardonner de quoi ?
- De m’avoir mise au monde !
- Et moi, tu me détestes aussi, alors ? »
Elle éclata de rire et posa un baiser sur sa bouche.
« Toi, je t’adore ! »




Un deuxième extrait de Sous le Saule



Ce jour-là, donc – nous étions en mars 1973 et l’hiver semblait ne jamais devoir se terminer – nous fûmes convoqués par la direction de l’école d’Aurore. Le directeur ne nous tendit pas la main. Il ne nous invita pas à nous asseoir. Il s’installa derrière son immense bureau qui fleurait bon la cire, fit semblant d’étudier quelques documents étalés sur son buvard vert immaculé, retira ses lunettes, se décida enfin à nous désigner les chaises dures qui lui faisaient face et prononça un « oui » pathétique tout en secouant la tête d’un air exaspéré. Il y eut un long silence pendant lequel je gardai les yeux rivés sur les diplômes placardés sur le mur, face à moi, tous soigneusement encadrés :
« Henri Verlinden : Médaille du Mérite », «Grande Distinction», « La Plus Grande Distinction », … Monsieur le Directeur croulait sous les palmes et les honneurs.
« Votre fille…, dit-il enfin.
- Ne se comporte-t-elle pas correctement ? » susurrai-je.
Nouveau silence. Le fait que Catherine me laisse mener l’entretien en disait long sur son état, mais j’étais aveugle à ce genre de signe.
« Il ne s’agit pas de son comportement à proprement parler.
- Alors… pourquoi cette convocation ? Auriez-vous une bonne nouvelle à nous annoncer ? Aurore serait-elle admise en première primaire ? J’avoue que je la sens bien plus mûre que la plupart de ses petits camarades… »
Monsieur Verlinden se tourna vers Catherine, préférant sans doute éviter mon regard :
« Vous n’êtes pas sans ignorer, chère Madame, cher Monsieur, que dans notre établissement, les enfants doivent répondre à certaines normes… »
Je poursuivis ma route comme un char d’assaut prêt à réduire en miette le QG ennemi.
« Des normes ? » m’écriai-je, offusqué.
Catherine me lança un coup d’oeil inquiet que j’ignorai volontairement. Le directeur poursuivit d’une voix où perçait un certain agacement :
« Précisément. Votre fille sort des normes. Elle ne répond pas aux critères de notre enseignement…
- Je vous demande pardon ? Aurore sort des normes ? »
Il me toisa comme s’il avait affaire à un attardé.
« Charles, s’il te plaît ! murmura Catherine.
- Oui, votre fille sort des normes, Monsieur ! Parfaitement. »
Le ton était ostensiblement passé au registre supérieur.
« Vous avez bien une fille inscrite chez madame Pascale ? »
J’excellais dans le dialogue de sourds lorsque le besoin s’en faisait sentir :
« De quelles normes, de quels critères essayez-vous de me parler, monsieur Verlinden ? Qu’avez-vous précisément à lui reprocher ?
- Je suppose que vous avez pris connaissance comme tout le monde, à l’inscription de votre enfant, de la philosophie de notre enseignement. Aurore est une enfant trop marginale…, (il s’empara d’une feuille et replaça ses lunettes en équilibre à l’extrémité de son nez) trop imaginative pour une fille de quatre ans. Trop… Comment dire ? Perturbatrice… Nous ne pouvons vraiment pas la garder parmi nous, hélas…
- Elle a donc mal agi.
- Non, mais…
- Vous avez des faits graves à lui opposer.
- Eh bien, son institutrice… enfin, l’ensemble du corps professoral estime qu’elle désoriente les autres enfants. Ce ne sont pas les exemples qui manquent : on lui demande de dessiner un arbre, elle dessine un chat qu’elle appelle « arbre »…
- Nous jouons en effet beaucoup avec les mots, à la maison… mais rassurez-vous, elle sait ce qu’est un arbre ! fis-je en grimaçant un sourire.
- … On lui montre comment utiliser la peinture, elle s’en sert pour maquiller ses camarades de classe, on lui demande de décrire ses parents, elle invente qu’elle n’a jamais eu de parents, qu’elle est « née à l’orphelinat » et qu’elle y a rencontré un ours en peluche qui se promenait à vélo dans les couloirs…
- En effet, je lui ai lu cette histoire…
- Les autres enfants ignoraient jusqu’au sens du mot « orphelinat » !
- Eh bien, voilà qui aura enrichi leur vocabulaire !
- On ne parle pas « d’orphelinat » à un enfant de quatre ans, monsieur ! Cela risque de le déstabiliser ! Quant à ses notes, elles sont lamentables, surtout en dessin et…
- Vous leur mettez des notes ? Vous évaluez les travaux des enfants ? A quatre ans ? »
Je connaissais parfaitement leur petit système que je trouvais dégradant, mais tenais à entendre le directeur lui-même s’embourber dans ses explications.
« Il faut bien les évaluer, leur faire comprendre ce qu’il est bien de faire, ce qui est mal…
- Peindre un chat et l’appeler « arbre », c’est mal ? Faire du surréalisme à quatre ans est punissable ?
- Disons que ce n’est pas le genre de notre école, lança-t-il sur un ton dédaigneux, un petit sourire narquois peint sur ses lèvres minces. »
Je sentais mon calme m’abandonner. Ma colère montait comme une colonne d’air chaud dans un cyclone. Sur le mur, face à moi, les diplômes de Monsieur le Directeur se muaient en graffitis multicolores, accomplissaient des figures acrobatiques, se transformaient en titres de pacotille, dansant en gracieuses arabesques autour d’effigies clownesques et couvertes de paillettes, clones risibles de monsieur Verlinden. Je ne pus résister à l’envie de mettre en pièce cette belle construction rassurante en laquelle nous avions placé notre confiance, à laquelle nous avions livré notre fille. Catherine, s’attendant au pire, se recroquevilla sur sa chaise. Je me mis à hurler, hors de moi :
- Et quel est exactement le « genre de votre école», Monsieur Verlinden ? A considérer l’arrogance avec laquelle vous vous adressez à nous, je ne mâcherai pas mes mots avant d’avoir le plaisir de ne plus jamais vous revoir : vous faites de votre établissement scolaire une prison élitiste, vous formatez vos élèves dans des canevas restrictifs sans respecter leur personnalité, votre modèle intellectuel est désuet et prétentieux. Ah ! qu’il est facile de prétendre produire une élite intellectuelle, lorsque l’on choisit ses élèves en toute liberté. Quel courage ! L’enseignement est un droit fondamental pour tous ! Des citoyens se sont battus pour cela. Il est l’assise de la démocratie ! Faire face aux difficultés réelles d’un enfant, respecter sa personnalité, relève non seulement de la vraie pédagogie mais du devoir de chaque enseignant ! Le reste n’est que simulacre !
- Charles, voyons ! s’exclama désespérément Catherine. Excusez mon mari, monsieur Verlinden. Il est enseignant lui-même et ce… sujet lui tient particulièrement à coeur… »
Le directeur avait viré au mauve. Il se redressa, leva la main comme s’il allait me frapper et sans un mot, nous désigna la porte. Je me levai à mon tour, pivotai en direction de la sortie et me jetai hors du bureau d’un pas alerte, tandis que Catherine balbutiait un vague mot d’adieu. Elle sortit sur mes talons et tenta de me raisonner. Je ne lui prêtai aucune attention, tout entier préoccupé par ma propre colère. Au lieu de me diriger vers la rue pour y récupérer notre voiture et rentrer chez nous, je franchis à grandes enjambées la cour de récréation et pénétrai sans frapper dans la classe d’Aurore. J’ignorai l’air scandalisé de l’institutrice et ordonnai à ma fille de réunir toutes ses affaires. Catherine m’avait rejoint. Elle me tirait en arrière. Je me dégageai, inconscient de la somme d’erreurs que j’étais en train de commettre, et rugis :
« Ma fille ne restera pas une minute de plus dans ce bagne! ».
Aurore quitta, toute tremblante le coin où elle était punie, ramassa ses crayons, ses peintures, son cartable et quelques magnifiques dessins portant des notes en rouge variant de
zéro à trois sur dix, m’évita ostensiblement, se dirigea vers Catherine et se jeta dans ses bras en pleurant. Je sortis de l’école la tête haute, comme un parfait imbécile, trainant derrière moi ma femme humiliée et ma fille en état de choc.
Je ne dis pas un mot au cours du trajet de retour et Catherine ne m’adressa pas la parole. Elle s’était installée près d’Aurore sur le siège arrière et tentait péniblement de la consoler.
Un pâle soleil de mars se hasardait à percer la brume après les intempéries de l’hiver. Aucun d’entre nous n’y prêta la moindre attention…



Un troisième extrait de Sous le Saule


Un dimanche après-midi du mois de mai 1983, quelqu’un sonna à l’entrée de mon appartement. Je n’étais pas d’un tempérament méfiant et avais horreur d’utiliser le judas. J’ouvris donc la porte et me trouvai nez à nez avec une jeune femme blonde, plutôt jolie, d’une vingtaine d’années.
« Vous êtes Charles ? me demanda-t-elle d’une voix mélodieuse.
- En effet, répondis-je, intrigué.
- Je m’appelle Jennifer. Elle me tendit la main. Je suis contente de vous rencontrer.
- Vous… vendez quelque chose ? m’enquis-je en serrant mollement la main de la jeune femme.
- Pas du tout. Je suis vraiment contente de vous rencontrer. J’ai beaucoup entendu parler de vous.
- Allons donc ! Il doit s’agir d’un autre Charles !
- Je ne crois pas, non. Vous permettez que j’entre ? Je ne vous dérange pas ?
- Je vous dirai cela après que vous m’ayez expliqué ce qui vous amène… »
Je m’effaçai pour la laisser passer. Elle se dirigea droit vers le canapé et s’y assit.
« Je peux vous offrir quelque chose à boire ? » demandai-je davantage par politesse que par intérêt pour la jeune femme qui pourtant n’était pas dépourvue de charme. Mais je n’étais pas d’humeur à me lancer dans une aventure sentimentale et je rêvais de profiter du divan qu’elle occupait pour y effectuer ma traditionnelle sieste du dimanche après-midi.
« Vous avez du jus d’oranges ? »
Je lui servis donc un jus d’oranges sorti droit du frigidaire.
« Je vous écoute…
- Oh, je n’ai pas grand chose à vous dire. Je voulais vous rencontrer, c’est tout.
- C’est tout ?
- C’est presque tout. Vous êtes content de votre appartement ? »
Elle avait dit cela d’un ton léger, comme si cela ne l’intéressait pas vraiment.
« Vous venez de la part de l’agence ?
- Non, non. Je viens de ma propre initiative…
- Vraiment ? »
Elle se contorsionna sur le canapé, plaça son sac sur ses genoux, l’ouvrit et y trifouilla nerveusement.
« Vous permettez que je fume ?
- Non. Désolé. Je préfère sincèrement que vous ne fumiez pas… »
Elle referma son sac.
« Pour répondre à votre question…
- Quelle question ?
- Personne ne m’envoie. J’ai vraiment entendu parler de vous.
- C’est Catherine qui vous a chargée de me surveiller ?
- J’ignore qui est Catherine et je ne vous surveille pas. Je suis là, c’est tout.
- Alors, expliquez-moi…
- J’habite à Bruxelles depuis peu.
- Où logiez-vous avant ?
- A Liège. J’y ai fait mes études mais je suis originaire de Bastogne.
- Des études ? Quelles études ?
- Psychologie. J’ai trouvé du travail dans un centre psycho médico-social. Celui dont dépend votre école.
- Ce n’est pas « mon » école. J’y enseigne, c’est tout.
J’avais pris un ton bougon. Elle baissa les yeux.
« Je vous ennuie, n’est-ce pas ?
- Excusez-moi. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de conversation. Je ne voulais pas me montrer désagréable.
- Je sais que vous êtes plutôt solitaire…
- Qui vous a dit ça ?
- Je ne connais pas grand monde par ici. Catherine, ce doit être votre ex-femme…
- C’est Norbert qui vous a dit que j’étais divorcé ? »
Je ne voyais toujours pas où menait cette conversation jusqu’au moment où elle laissa tomber :
« J’ai rencontré votre fille…
- Quoi !?....

 

 
COMMENT SE PROCURER

"SOUS LE SAULE" ?

Le roman est disponible dans trois librairies de la région bruxelloise :

A livre Ouvert
rue Saint Lambert, 116
1200 Bruxelles

Tropisme
Galerie des Princes
1000 Bruxelles


UOPC
14-16 avenue Demey
1160 Bruxelles


ou

chez l'éditeur :



http://bordulot.fr/index.html





 

 
 
 



Créer un site
Créer un site